Découvrir Tipaza - ( ou Tipasa) - 1ère partie
191 ème article
Noces à Tipasa (1935-1936) Albert Camus
"J'ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j'y ai puisé tout ce que je suis et je n'ai séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent…"
" Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer" ......
Après Albert Camus, nul ne saura traduire avec des mots, des comparaisons et des images rares ou osées, la beauté de Tipasa, tout ce qu'évoquent les ruines, le soleil, la mer et l'air lui-même pour cet homme amoureux de son pays et fragilisé par la maladie (Tuberculose dit-on... ) .
J'aimerais jouer une touriste curieuse de savoir pourquoi Tipasa a été pour Camus un tel coup de coeur et cheminer parmi les ruines ...
Situons d'abord Tipasa (dont le nom signifie : lieu de passage ou escale et qui pourrait être un mot Berbère déformé : Tafsa) . . Elle est à 69 Km à l'ouest d'Alger et 31 Km de Cherchell. On visite deux parcs archéologiques non loin du centre urbain et, plus loin le Mausolée Royal de Maurétanie ou Tombeau de la Chrétienne.
Poursuivons le chemin qu'avait pris Camus.
"....Nous arrivons par le village qui s'ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d'été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes. À l'heure où nous descendons de l'autobus couleur de bouton d'or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants....."
On voit l'importance de la mer à Tipasa. On comprend pourquoi les navigateurs Phéniciens déjà, en avaient fait leur escale côtière coutumière. Ce comptoir se développa au II° av. J.C. Finalement cette cité de Numidie tomba sous la domination Carthaginoise. Le roi Juba Ier mort en 23 ap. J.C. ne put résister à la puissance de Rome et son fils Juba II fut emmené et élevé à Rome.
Cette photo montre que Carthage avait fortement laissé son empreinte sur le monde Berbère. La nécropole de ce comptoir Carthaginois est l'une des plus vastes du monde Punique.
....." À gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. " ...........
En 40 Ap. J.C. l'exécution, par Caligula, de Ptolémée, fils de JUBA II (Roi de Numidie de 30 à 25 Av. J.C. ) , fait tomber la Maurétanie sous l'administration Romaine. Elle est scindée en deux provinces ; celle qui nous intéresse est la Maurétanie Césarienne (sa capitale étant Césarée/Cherchell) . Elle est au centre et à l'ouest de l'actuelle Algérie. La seconde province couvre le nord du Maroc . En 46 la ville obtient le statut de "municipe de droit latin" puis sera "colonie romaine" . Elle est à son apogée avec les empereurs tels les Antonins et les Sévères, entre 96 et 192 Ap. J.C. et compte 20 000 habitants. Une muraille de 2 200 m. la ceinture. Nous parlerons de ses superbes édifices dans la seconde partie de l'article.
Le concepteur de ce projet est Jean-Claude Golvin. Au premier plan, la Basilique Sainte Salsa.
Le site est éclaté et non compact comme Timgad par exemple et il faut savoir qu'une immense partie reste enterrée sous les sédiments : ainsi les Grands Thermes ont leurs bases à quatre mètres sous terre !
...... "Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs. Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l'étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile.] Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J'y suis souvent allé avec ceux que j'aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu'y prenait le visage de l'amour. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs...... "
Cependant , du III° siècle au IV° siècle, une nouvelle religion s'est peu à peu installée ... Le Christianisme s'est imposé après des épisodes pénibles et l'on voit s'élever des édifices prestigieux comme des basiliques et autres lieux de culte qu'entourent des nécropoles.
Mais cette époque Paléochrétienne ne va pas tarder à être ébranlée par des troubles divers au IV° siècle ...
... ". Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent. Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. (…) Albert Camus
Noces à Tipasa (Noces, suivi de l’Été – 1938)
Notre visite s'arrête temporairement au moment ou Tipasa va connaître son déclin et le beau texte d'Albert Camus se termine ici ...
On comprend que le soleil, le ciel, la mer et la chaleur des pierres ont mis tous ses sens en éveil. La sensualité du parfum des fleurs a réveillé des souvenirs amoureux qu'il avait enfouis et finalement sa pensée s'élève vers Dieu ...
Michèle Pontier-Bianco 13/12/24
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