Nos matinées théâtrales
Sur la Place de la Brèche, à Constantine, le Théâtre Municipal attirait, et attire toujours, tous les regards. Il fut construit entre 1861 et 1880. Il était " à l'italienne" et sa décoration " classique--Napoléon III " en fit un édifice grandiose. (Classé en 2010 " Monument Historique National " au Ministère de la Culture) .
Il fonctionnait alors comme tous les théâtres de France. Nous y allions en soirée avec nos parents mais les " matinées " qu'y donnaient : les J.M.F. pour la musique ou le C.R.A.D. pour le théâtre, étaient spécialement destinées à un public plus jeune ; quelques adultes s'y risquaient néanmoins. Si le rideau tardait à se lever, les lycéens commençaient à manifester ! Ils avaient mis au point une sorte de chant maori (ou approchant) dont les seules paroles étaient : " Hou ! Hou ! Kss-Kss " , répété à satiété et scandé bruyamment ... Un jour ils eurent l'idée saugrenue de taper en cadence sur la rambarde capitonnée et recouverte de velours rouge qui avait peu connu l'aspirateur. Une vénérable poussière envahit toute la salle en un nuage suffoquant. Les millions de particules éclairées par le grand lustre en matérialisaient toute l'horreur ! Indignation des " gens-bien " du parterre !!! Quand le spectacle commençait , cela pouvait se calmer ; un acteur devait immédiatement " mettre le public dans sa poche " , comme sut le faire Jacques Fabbri dont la bonhomie était indiscutable, mais pouvait aussi déraper comme pour un acteur de la Comédie Française, un très bel homme, non en péplum mais en tunique. Lassé par les trublions, il quitta la scène bruyamment en s'écriant : " Et puis merde ! Bande de c... ! " . Ce fut un beau vacarme !
Mais, année après année, le goût du théâtre s'insinua dans l'esprit de nos potaches. Des lycéens des classes terminales et surtout l'équipe de " Flash " , leur journal, surent mettre en scène et interpréter des pièces comme : " Orion le tueur " , " Les dix petits nègres " , Treize à table " ou " La cuisine des anges " , comme des professionnels, ce qui leur valut un franc succès ! Le théâtre abritait aussi les fêtes annuelles de maintes écoles. Pour une fête du Lycée de filles, notre classe fut choisie dans le Premier cycle, pour interpréter un ballet ... tyrolien mis au point par les professeurs de Gymnastique et de Solfège. C'était sur la musique de " L'auberge du cheval blanc " , ( qualifiée, comme on le sait, de " Séjour aimable et troublant " ) ! Personne n'ayant les fameuses culottes de peau des montagnards, des shorts firent l'affaire, nos mères y ajoutèrent des bretelles folkloriques, et, avec des chapeaux à plumets sur la tête, nous étions équipées pour gambiller et chanter avec conviction : " Au joyeux Tyrol - Quand la gaieté prend son vol ... " . Ce furent nos débuts dans l'Opérette !
Les répétitions étaient pour nous l'occasion d'explorer le côté scène-et-coulisses qui nous était jusqu'alors inconnu. Dans une grande excitation, nous dévalions les escaliers du haut en bas. On ne pouvait aller plus bas et pourtant le sous-sol devait receler des mystères ; peut-être des geôles sinistres car l'édifice était construit sur l'emplacement de la Caserne Bab-el-Oued, des Janissaires ... et cela, nous l'ignorions ... Nous nous accoudions aux fenêtres de la façade arrière qui donnaient sur une partie de la Médina, avec ses petites places pittoresques et ses ruelles pleines de secrets, nous nous en remplissions les yeux.
Cet univers artistique que nous frôlions, fut l'intermède agréable d'une évasion devenue nécessaire dans un environnement de plus en plus chaotique et à l'avenir incertain ...
Pendant des lustres, ce beau lieu continua de fonctionner. Le Rai d'Oranie ou le Malouf , musique arabo-andalouse constantinoise, firent danser sur place bien des foules, s'ajoutant aux tournées théâtrales et aux concerts variés, jusqu'au triste constat, en 1970, qu'il avait vieilli et n'offrait pas de garanties de sécurité. On y fit quelques travaux mais en 1980 la Protection Civile le fit fermer pour d'autres travaux insuffisants aussi. On imagine la tristesse d'un tel écrin vide, poussiéreux et silencieux, l'écho des belles voix, des musiques passionnées, des grandes tirades et des applaudissements s'étant évaporé dans l'espace des fantômes ...
Et puis, en 1996, la restauration des théâtres des trois grandes villes : Alger, Constantine et Oran, fut confiée à un Bureau d'Etudes Français . Quelques années plus tard, un vraie rénovation les rendit au public.
Nous souhaitons à ce classique et beau Théâtre Régional de Constantine, un bel avenir dans la Culture Universelle !
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------La " Jeune fille grecque " en accord avec le sujet fut (hélas) dessinée sur papier ...