Mon Bazar favori : Rue Damrémont

Publié le par Michèle Pontier-Bianco

Nourson et Tintin

Nourson et Tintin

Un bazar, comme on en voit peu maintenant, jalonnait mon chemin de l'école qui passait par la Rue Damrémont. Je n'en connaissais point de pareil dans Constantine. Depuis les classes primaires, j'aimais m' arrêter devant ses vitrines (lorsque je n'étais pas en retard ! ) . Il faut dire qu'il présentait de l'intérêt pour tous :  garçons et filles, dames et messieurs, civils et militaires. Chacun pouvait y trouver un article (maintenant on dit " produit " ) pouvant le satisfaire ! C'était le Bazar Universel. Il appartenait à Monsieur Coeuret. 

Les années passaient et je le voyais parfois sur le pas de sa porte, prenant l'air,  mains croisées derrière le dos, immuablement vêtu d'un blouse en coutil gris, à la façon des commerçants d'autrefois ; il semblait avoir toujours le même âge.

Les vitrines n'avaient pas besoin d'un étalagiste professionnel : il les garnissait lui-même, soigneusement, au rythme des saisons et des fêtes. Pour Noël et Carnaval elles étaient particulièrement attractives. Dans la petite enfance, les jouets multiples étaient objets de rêve pour les commandes au Père Noël. Parmi ceux catalogués " pour filles " , les poupons et les poupées articulées qui miaulaient vaguement : Maman , étaient nos principaux compagnons. Les poupons étaient appelés " baigneurs " on ne sait pourquoi puisqu'il ne fallait surtout ne pas les immerger, l'eau pouvant remplir leurs membres creux en passant par les orifices des articulations. Et lesdites articulations étaient encore plus compliquées pour les poupées ! De plus, si leur tête était en porcelaine, elle pouvait se casser. Le médecin attitré de ce petit monde était Monsieur Coeuret. On était encore loin de l'apparition de poupées et poupons incassables et dûment sexués. J'avais aussi de l'amour pour les nounours.

Pour les jeux de garçons, je ne jetais qu'un coup d'oeil sur les trains et les petites voitures. Casés et accrochés on ne sait comment, un peu partout, des objets divers captaient mon attention ; c'étaient principalement les trophées destinés à récompenser des concours pour des sports variés. Mon préféré était le bouliste en bronze, lançant avec élégance sa boule, une jambe à demi ployée (le genou n'ayant pas d'arthrose) avec une grande souplesse, le bras opposé en arrière pour faire balancier. 

J'appréciais aussi les objets de bureau, toujours en métal lourd, aux formes compliquées, surtout avec le double encrier. Les bibelots du genre " dessus de cheminée " m'étonnaient. On ne voyait pas de cristal de Baccarat,  des porcelaines ou  des émaux de Limoges, non ; mais des statues de terre cuite, du genre rustique. La paysanne à la coiffe aux ailes retroussées me plaisait tellement que je l'avais commandée pour Noël, mais l'on me dit que ce n'était pas un jouet ... Dommage ...

En toutes saisons, une partie de l'étalage était consacrée aux militaires : petits souvenirs de la ville, objets patriotiques etc ... La caserne était en effet toute proche.

Trophée de Bouliste

Trophée de Bouliste

Mais à l'adolescence, ma copine de lycée et moi, passions plus volontiers par le trottoir d'en face pour nous arrêter devant la vitrine du disquaire Tobiana et y guetter le dernier disque des Platters ou de Paul Anka, ou celle du maroquinier Chetaille pour y admirer les sacs à la mode ! Si nous nous arrêtions au bazar, ce n'était que pour y voir certains souvenirs pour militaires qui excitaient notre hilarité (étions-nous bêtes ! ) : les cartes postales sentimentales ! Elles représentaient des portraits de couples sur un fond de coeurs ou de bouquets de roses et pensées. La femme était une cover-girl de l'époque, l'homme, un troufion idéalisé, aux lèvres un peu trop carminées. Des petits phylactères portaient des phrases mensongères, du genre : " Je n'aime que toi " ou " Je t'attends fidèlement " . Nous nous amusions à élire la plus  "kistch" (le mot ne se disait pas encore ! ) .

Et puis, je quittai le quartier. Les habitudes et les souvenirs qui s'y rattachaient, furent enfouis et j'en adoptai d'autres..

Un jour, en période de Carnaval, l'Hôtel Cirta  organisa dans ses salons un grand bal dit " Paré et masqué " ;  les plus beaux déguisements seraient, ajoutait-on, récompensés. J'y assistai et force fut de constater que la moitié seulement des danseurs étaient costumés. La soirée était largement entamée lorsqu'un remous dans la foule salua l'entrée (soigneusement mise en scène) , d'un couple  magnifique : Othello et Desdémone parurent à nos yeux dans des habits merveilleux de brocart et de velours dans les tons or. 

Elle était fine et élégante dans ses habits luxueux, lui, fort impressionnant par sa prestance et bizarrement, le fard noir de son visage faisait ressortir ses yeux de chat. Je reconnus la fille de Monsieur Coeuret et son mari, je les avais vus quelquefois au bazar. 

Tout ce qui m'avait liée à ce magasin tant d'années, à divers âges, me revint en mémoire. Il m'apparut alors évident que je n'avais jamais TOUT connu du Bazar de Monsieur Coeuret ! Une malle aux trésors devait y exister depuis toujours et je ne l'avais jamais vue ! Les plus beaux des articles du magasin, ces parures princières, étaient là, devant moi ! Une véritable apothéose ! Le couple remporta le premier prix, aisément. 

Apothéose ... ou derniers feux ... Dans l'époque troublée et incertaine que nous vivions alors, quelles pouvaient être les  perspectives d'avenir pour ce commerce ?

Que devinrent le magasin et ses propriétaires ? Je ne l'ai jamais su ...

 

Opéra : " Otello "  de Verdi  -  Production de Vasily Barkhatov  -  2007

Opéra : " Otello " de Verdi - Production de Vasily Barkhatov - 2007

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